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le monde comme volonté et comme représentation

quelques-uns d’entre eux enseignent un créateur du monde, qui ne fait que donner une forme à une matière qui existe indépendamment de lui, un δημιουργος : c’est d’ailleurs par le principe de causalité seul qu’ils remontent jusqu’à ce démiurge. Il est vrai que Sextus Empiricus (adv. Math., IV, § 88) cite une argumentation de Cléanthe que quelques-uns prennent pour la preuve ontologique. Mais elle n’a pas ce caractère, elle n’est qu’un simple raisonnement par analogie : en effet, comme l’expérience apprend que sur terre un être est toujours plus excellent que l’autre, et que l’homme, étant le plus excellent, clôt la série, bien qu’il ait encore de nombreux défauts, il doit évidemment exister des êtres plus excellents encore et en dernière ligne un être d’une excellence suprême (κράτιστον, ἀριστὸν) c’est-à-dire Dieu.


Au sujet de la réfutation radicale de la théologie spéculative, qui vient à la suite, je me bornerai à remarquer qu’elle est sans doute, dans une certaine mesure, tout comme la critique des trois Idées de la raison, c’est-à-dire toute la dialectique de la raison pure, le but et la fin de l’œuvre entière ; que cependant cette partie polémique n’a pas, comme la partie théorique qui précède, c’est-à-dire l’esthétique et l’analytique, un intérêt général, permanent et purement philosophique ; mais l’intérêt en est plutôt temporaire et local, puisqu’elle se rapporte aux moments principaux de la philosophie qui jusqu’à Kant a régné en Europe : toutefois ce sera l’immortel mérite de Kant d’avoir par cette polémique donné le coup de grâce à cette philosophie. Il a éliminé de la philosophie le théisme, car dans la philosophie, entendue comme science, et non comme foi religieuse, il n’y a que les données empiriques ou les résultats de démonstrations certaines qui puissent trouver place. Naturellement j’entends par philosophie celle qui est pratiquée sérieusement, et qui ne vise qu’à la vérité, et non pas cette philosophie pour rire des Universités, dans laquelle la théologie spéculative joue toujours le rôle principal, et où l’âme, comme une vieille connaissance, se meut sans aucune gêne. Celle-là, c’est la philosophie qui traîne à sa suite les pensions et les honoraires, et même les titres de conseiller aulique ; c’est elle qui, des hauteurs dédaigneuses où elle réside, ne s’aperçoit même pas, quarante années durant, de l’existence d’aussi petites gens que moi ; qui voudrait bien être débarrassée du vieux Kant et de ses critiques, pour acclamer de tout cœur son Leibniz. — Je dois remarquer en outre que, de même que le scepticisme de Hume au sujet du concept de cause a donné l’impulsion première à la doctrine kantienne du caractère a priori de la loi de cause, de