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le monde comme volonté et comme représentation

table lumière, ni la source d’où elle jaillit, ni les choses réelles, mais seulement une faible lueur diffuse dans la caverne et les ombres des choses réelles qui passent devant un grand feu, derrière les hommes : pourtant ils se figurent que les ombres sont des réalités, et, s’ils connaissent l’ordre de succession de ces ombres, ils croient posséder la véritable sagesse. » — C’est encore la même vérité, toujours sous une forme différente, qui fait ce fonds de l’enseignement des Védas et des Pouranas : c’est la doctrine de la Maya. Sous ce mythe, il faut voir exactement ce que Kant nomme phénomène par opposition à la chose en soi ; en effet, l’œuvre de Maya est justement présentée comme le symbole de ce monde sensible qui nous entoure, véritable évocation magique, apparence fugitive, n’existant point en soi, semblable à une illusion d’optique et à un songe, voile qui enveloppe la conscience humaine, chose mystérieuse, dont il est également faux, également vrai de dire qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas. — Toutefois Kant ne se contentait pas d’exprimer la même doctrine d’une manière tout à fait neuve et originale ; grâce à la plus sereine et à la plus sobre des expositions, il la transformait en une vérité démontrée, incontestable. Platon, au contraire, et les Hindous, n’avaient fondé leurs affirmations que sur une intuition générale du monde ; ils ne les donnaient que comme l’expression directe de la pure aperception ; ils les exprimaient enfin d’une manière plutôt mythique et poétique que philosophique et précise. À ce point de vue, il y a entre Kant et eux le même rapport qu’entre Kopernik, d’une part, et, d’autre part, les pythagoriciens Hicetas, Philolaos et Aristarque, lesquels avaient déjà affirmé le mouvement de la terre et l’immobilité du soleil.

Kant a démontré par des procédés scientifiques et réfléchis, il a expose d’une manière raisonnée que le monde n’est, dans tout son être, qu’illusion ; telle est la base, telle est l’âme, tel est le mérite capital de toute sa philosophie. Pour constituer cette philosophie, il dépensa des trésors de réflexion et de sagacité : il lui fallut démonter, puis examiner pièce à pièce tout le mécanisme de cette faculté de connaître, en vertu de laquelle se joue cette comédie fantastique qu’on nomme le monde extérieur. Toutes les philosophies occidentales, antérieures à celle de Kant, paraissent à côté de celle-ci singulièrement niaises ; elles ont méconnu cette vérité capitale, et par suite tout leur enseignement n’a jamais été que la vision confuse du rêve. Kant le premier fait sortir la philosophie de ce sommeil ; c’est pour cela que les derniers de ces endormis, tels que Mendelssohn, l’appelèrent le destructeur universel. Selon lui, en effet, les lois qui gouvernent avec une irréfragable nécessité l’être, c’est-à-dire en somme le champ de l’expérience, ne peuvent nous révéler ni l’origine ni l’explication de cet être ; leur valeur