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le monde comme volonté et comme représentation

lois de la langue), en se référant à un devoir inconditionné, l’impératif catégorique, qui est postulé sans plus de raison.

Voici au contraire, quelle eût été la vraie méthode : il fallait partir immédiatement de la volonté, montrer dans celle-ci le fonds en soi, connu sans intermédiaire aucun, de notre propre phénoménalité, puis donner une exposition du caractère empirique et du caractère intelligible, établir comment toutes les actions, bien que nécessitées par des motifs, n’en sont pas moins attribuées nécessairement et absolument à l’agent même et au seul agent, aussi bien par lui que par un juge étranger, que ces actes sont considérés comme dépendant uniquement de lui-même et qu’il doit par conséquemment en assumer le mérite et la peine. — Telle était la voie qui menait directement à la connaissance de ce qui n’est pas phénomène et ne saurait, par conséquent, être obtenu d’après les lois des phénomènes, de la volonté de vivre qui se manifeste dans le phénomène et y devient objet de connaissance. Il eût fallu ensuite la considérer, en vertu d’une simple analogie, comme le fonds en soi de toute forme phénoménale. Mais alors Kant n’aurait pas pu dire (p. 546 ; V, 574), que dans la nature inanimée et même dans la nature animale, aucun pouvoir ne peut être conçu sous une autre forme que celle de la détermination sensible ; ce qui, dans la langue de Kant, revient à dire que l’explication par la loi de la causalité épuise l’essence la plus intime même de ces phénomènes, théorie qui leur enlève, d’une manière fort inconséquente, tout caractère de chose en soi. — Kant n’ayant pas assigné à l’exposé de la chose en soi la place qu’il fallait, n’ayant pas déduit la chose en soi par le procédé qu’il fallait, toute la conception en a été faussée. Car la volonté ou chose en soi ayant été obtenue par la recherche d’une cause inconditionnée, elle entre avec le phénomène dans le rapport de cause à effet. Mais ce rapport n’a lieu que dans le cercle même du phénomène, il suppose par conséquent ce phénomène et ne peut pas le relier à ce qui est situé en dehors de lui, à ce qui est génériquement distinct de lui.

De plus le but proposé, à savoir la solution de la troisième antinomie, n’est nullement atteint par cette affirmation, que les deux parties ont raison, chacune à un point de vue différent. Car la thèse pas plus que l’antithèse ne parlent de la chose en soi, elles s’occupent purement et simplement de la phénoménalité, du monde objectif, du monde comme représentation. La thèse cherche à établir par le sophisme indiqué que ce monde-là, et non pas un autre, renferme des causes inconditionnées, et c’est en parlant de ce même monde que l’antithèse nie avec raison la thèse. Aussi bien toute la démonstration donnée ici de la liberté transcendantale de la volonté, en tant que chose en soi, si excellente qu’elle puisse