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critique de la philosophie kantienne

tion et la limitation de ces séries devraient exister indépendamment de la représentation, laquelle ne vient qu’après : toutes les séries, dans un tel monde, doivent donc être infinies, c’est-à-dire ne pouvoir être épuisées par aucune représentation.

Plus loin[1], Kant veut se fonder sur l’erreur de la thèse et de l’antithèse pour démontrer l’idéalité transcendantale de l’expérience, et il commence ainsi : « Si le monde est un tout existant en soi, il est ou fini ou infini ». — Mais ceci est faux : un tout existant en soi ne peut en aucune façon être infini. — Allons plus loin : supposons que cette idéalité puisse être prouvée de la façon suivante, par l’infinité des séries qui constituent le monde : « les séries de raisons et conséquences constituant le monde n’ont absolument aucune fin » ; eh bien ! dans ce cas, le monde ne peut être un tout donné, indépendant de la représentation : car un tout donné, indépendant de la représentation, suppose toujours des limites déterminées, de même que, en revanche, des séries infinies supposent un regressus infini. Ainsi l’infinité supposée des séries doit être déterminée par la forme de « raison et conséquence », celle-ci à son tour par le mode de connaissance du sujet ; bref le monde, tel que nous le connaissons, ne peut exister que dans la représentation du sujet.

Kant a-t-il senti ou non que la Solution critique du conflit était en réalité un arrêt en faveur de l’antithèse ? Je n’ai pas qualité pour prononcer là-dessus. Voici en effet quelle est la question : cette solution est-elle encore un résultat de ce que Schelling a nommé quelque part, et fort justement, le Système d’accommodation de Kant[2] ? Ou bien l’esprit de Kant se trouvait-il inconsciemment entraîné à l’accommodation par l’influence de son temps et de son entourage ?


La solution de la troisième antinomie, qui a pour objet l’Idée de la liberté, mérite une étude spéciale ; en effet pour nous il est fort remarquable que Kant se trouve forcé, justement ici, à propos de l’Idée de la liberté, de parler en détail de cette chose en soi, que jusque-là nous avions vu reléguée au second plan. Cela est très significatif pour nous, qui avons identifié la chose en soi avec la volonté. D’une manière générale, c’est ici le point par où la philosophie de Kant sert d’introduction à la mienne, ou plutôt par où la mienne se rattache à la philosophie de Kant, comme l’arbre à la racine. Pour se convaincre de ce que je dis là, il suffit de lire avec

  1. P. 506 ; 5e éd., p. 534.
  2. Kants Accomodations systems.