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critique de la philosophie kantienne

Dans cette solution Kant commence par affirmer, à tort évidemment : que la thèse et l’antithèse ont pour premier principe l’hypothèse suivante, à savoir que, si le conditionné nous est donné, la série complète, autrement dit finie, de ses conditions nous est également donnée. Or il n’y avait que la thèse qui appuyât ses assertions sur ce principe, lequel n’est autre que le principe pur de la raison, tel que Kant nous l’a déjà exposé ; quant à l’antithèse, elle niait ce principe d’une manière générale et expresse, elle en affirmait le contraire. Plus loin encore, il reproche aux deux premières thèses et antithèses d’avoir fait l’hypothèse suivante, à savoir que le monde existe pris en soi, c’est-à-dire indépendamment du fait d’être connu et des formes de la connaissance : en effet cette hypothèse est encore répétée dans la thèse, mais uniquement dans la thèse ; l’antithèse, au contraire, loin de tirer de cette hypothèse le principe de ses assertions, se trouve, d’un bout à l’autre, inconciliable avec elle. En effet, le concept d’une série infinie, tel qu’il est exprimé dans l’antithèse, se trouve en contradiction radicale avec l’hypothèse d’une série tout entière donnée : un caractère essentiel d’une série infinie, c’est qu’elle existe toujours relativement au dénombrement que l’on en fait, jamais abstraction faite de ce dénombrement. Au contraire qui dit limites déterminées, dit un tout, lequel existe et subsiste par soi, indépendamment du dénombrement plus ou moins complet que l’on en peut faire. Ainsi c’est uniquement la thèse qui commet l’hypothèse erronée d’un tout cosmique subsistant en soi, c’est-à-dire avant toute connaissance, d’un tout où la connaissance n’a d’autre rôle que de se superposer à ce tout. L’antithèse se trouve en lutte radicale et constante avec cette hypothèse : en effet, l’infinité des séries, affirmée par l’antithèse à la simple lumière du principe de raison, ne peut être réelle que si l’on opère le regressus, indépendamment de quoi cette infinité n’existe point. Car si d’une manière générale l’objet suppose le sujet, il va de soi qu’un objet se composant d’une chaine infinie de conditions suppose dans le sujet un mode de connaissance correspondant, c’est-à-dire un dénombrement infini des anneaux de cette chaîne. Or c’est précisément là ce que Kant nous dit et répète si souvent pour résoudre le conflit : « L’infinie grandeur du monde n’existe que par le regressus et non antérieurement à lui ». Résoudre ainsi le conflit, c’est en réalité le trancher en faveur de l’antithèse ; car cette vérité se trouve déjà dans la proposition de l’antithèse, en même temps qu’elle est tout à fait inconciliable avec les assertions de la thèse. Supposons que l’antithèse ait affirmé que le monde se compose de séries infinies de raisons et de conséquences, que néanmoins le monde existe indépendamment de la représentation et du dénom-