Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
le monde comme volonté et comme représentation

cause ! Sentant la faiblesse de l’argument, il se réclame des philosophes antiques ; or ce recours n’est point fondé, et pour le prouver je n’aurais qu’à citer Ocellus Lucanus, les Éléates et tant d’autres ; sans compter les Hindous. Contre la démonstration de l’antithèse, il n’y a rien à objecter : c’est comme dans les deux antinomies précédentes.

La quatrième antinomie forme, ainsi que je l’ai déjà remarqué, une véritable tautologie avec la troisième. La démonstration de la thèse est, en substance, une réédition de la démonstration de la thèse précédente. L’assertion suivante : « Tout conditionné suppose une série de conditions complète et par suite se terminant par l’inconditionné », cette assertion est une pétition de principe que l’on doit absolument rejeter. Un conditionné ne suppose qu’une seule chose, à savoir sa condition : que cette condition soit à son tour conditionnée, c’est là le commencement d’une nouvelle étude qui n’est pas directement contenue dans la première.

La théorie des antinomies, il faut l’avouer, est jusqu’à un certain point spécieuse. Cependant il est remarquable qu’aucune partie de la philosophie de Kant n’ait trouvé aussi peu de contradicteurs que la théorie des antinomies ; aucune même n’a trouvé une approbation plus générale ; et pourtant c’est bien là la plus paradoxale de toutes les théories de Kant. Presque tous les partis et tous les manuels philosophiques l’ont considérée comme vraie, l’ont reproduite et même l’ont travaillée ; et cela, bien que toutes ou presque toutes les autres doctrines de Kant aient été combattues ; bien qu’il y ait eu des cerveaux assez mal faits pour attaquer l’Esthétique transcendantale elle-même. L’approbation unanime, que la théorie des antinomies a rencontrée, doit venir en définitive de la raison suivante : certaines gens contemplent avec une satisfaction intime le point où l’intelligence doit s’arrêter court, s’étant heurtée à quelque chose qui à la fois est et n’est pas ; ils se figurent avoir réellement sous les yeux le sixième prodige de Philadelphie, annoncé sur les affiches de Lichtenberg.

Kant nous donne ensuite la solution critique du conflit cosmologique[1]. Cette solution n’est point, si l’on en recherche le véritable sens, ce que nous annonçait son auteur : il nous avait promis de résoudre le conflit en démontrant que, dans la première et dans la seconde antinomie, la thèse et l’antithèse, parties de suppositions également fausses, ont tort toutes les deux, tandis que, dans la troisième et dans la quatrième antinomie, la thèse et l’antithèse ont toutes deux raison. Or Kant n’a point rempli ce programme ; il n’a fait que confirmer les antithèses, en en précisant l’exposition.

  1. Kritische Entscheidung des kosmologischen Streites.