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critique de la philosophie kantienne

chez Aristote la pensée fondamentale de cette autre explication[1].

L’argument en faveur de la troisième thèse est un sophisme très habile ; il n’est autre en réalité que le prétendu principe de la raison pure, qui appartient en propre à Kant et qui est reproduit ici sans mélange, sans altération. Ce principe tend à démontrer que la série des causes est une série finie ; car d’après lui une cause ne saurait être suffisante, à moins de contenir la somme totale des conditions dont émane l’état qui suit, autrement dit l’effet. Ainsi donc, les déterminations simultanément réalisées dans l’état qui est la cause doivent se trouver au complet. Mais voici quel est au fond l’esprit de cette argumentation : la série des causes en vertu desquelles cet état lui-même est parvenu à la réalité doit être complète ; or qui dit complet dit achevé, qui dit achevé dit fini ; et de cette manière l’argumentation conclut à une première cause, fermant la série, par conséquent inconditionnée. Le tour de passe-passe est manifeste. Si je considère l’état A comme la cause suffisante de l’état B, je suppose que l’état A contient la totalité des conditions nécessaires dont la réunion produit inévitablement l’état B. Voilà tout ce que je puis exiger de l’état A considéré en tant que cause suffisante ; et cela n’a aucun rapport direct avec la question de savoir comment l’état A est parvenu à son tour à la réalité : cette dernière question fait partie d’un problème tout différent ; dans ce nouveau problème je considère ce même état A non plus comme une cause, mais à son tour comme un effet conditionné par un troisième état ; et ce troisième état est à l’état À ce que l’état A était tout à l’heure à l’état B. Supposer que la série des causes et des effets est une série finie et que par suite elle a un commencement, c’est là une hypothèse qui ne nous apparaît nullement comme nécessaire, pas plus nécessaire que de supposer un commencement du temps pour expliquer l’existence de l’instant présent ; cette hypothèse n’a été introduite que par la paresse d’esprit des individus qui se livraient à la spéculation. Prétendre que cette hypothèse consiste dans l’affirmation d’une cause, prise comme raison suffisante, c’est une supercherie et une erreur ; du reste je l’ai prouvé en détail, plus haut, lorsque j’ai étudié le principe kantien de la raison, principe qui correspond à cette thèse. Pour appuyer l’affirmation de cette thèse fausse, Kant n’hésite point, dans la remarque qui y est annexée, à dire que, lorsqu’il se lève de sa chaise, c’est là un exemple de commencement inconditionné : comme s’il ne lui était pas aussi impossible de se lever sans motif qu’il est impossible à une bille de rouler sans

  1. Phys. IV, 9.