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mot de la sagesse ne consiste désormais, pour nous, qu’à nous abîmer dans le néant.

À ce propos, je dois observer, d’abord, que le concept du néant est essentiellement relatif ; il se rapporte toujours à un objet déterminé, dont il prononce la négation. D’après une analyse, dont Kant est le principal auteur, l’on distingne le nihil privativum et le nihil negativum ; le premier, seul, est relatif : c’est une quantité précédée du signe —, par opposition à une autre précédée du signe + ; mais il reste possible, en se plaçant au point de vue contraire, de changer le signe — en signe + : à ce nihil privativum on oppose le nihil negativum, lequel est un néant absolu ; l’on donne comme exemple du nihil negativum la contradiction logique qui se détruit elle-même. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a point de néant absolu ; le nihil negativum proprement dit n’existe point, ce n’est pas une notion pensable ; tout néant de ce genre, dès qu’on le considère à un point de vue plus élevé, dès qu’on le subsume sous un concept plus étendu, ne peut manquer de se réduire au nihil privativum. Tout néant n’est qualifié de néant que par rapport à une autre chose ; tout néant suppose ce rapport, et par suite un objet positif. La contradiction logique elle-même n’est qu’un néant relatif. C’est une chose que la raison ne peut penser ; mais il ne s’ensuit pas pour cela que ce soit un néant absolu. En effet, c’est tout au moins un assemblage de mots, c’est un exemple de non-pensée, exemple dont la logique a besoin pour déterminer les lois mêmes de la pensée : c’est pourquoi lorsque, dans cette intention, l’on recourt à un exemple de ce genre, l’on s’en tient au non-concevable, qui est, pour le moment, l’objet intéressant, et qui joue le rôle de notion positive, tandis que l’on passe par-dessus le concevable qui tient actuellement lieu de notion négative. Ainsi donc, tout nihil negativum, tout néant absolu, du moment qu’on le range sous un concept plus élevé, peut être considéré comme un simple nihil privativum, comme un néant relatif, lequel peut échanger son signe avec celui de la notion qu’il nie, de telle sorte que celle-ci devient pour nous négative, et que le néant de tout à l’heure se transforme en un terme positif. Cette conclusion est d’accord avec celle que donne Platon, lorsqu’après avoir étudié avec une dialectique laborieuse la nature du néant, il dit dans le Sophiste (p. 277, 287, Bip.) : Την του ετερου φυσιν αποδειξαντες ουσαν τε και κατακεκερματισμενην επι παντα τα οντα προς αλληλα, το προς το ον εκαστου μοριον αυτης αντιτιθεμενον, ετολμησαμεν ειπειν, ως αυτο τουτο εστιν οντως το μη ον. (Cum enim ostenderemus, alterius ipsius naturam esse, perque omnia entia divisam atque dispersam invicem ; tunc partem ejus oppositam ei, quod cujusque ens est, esse ipsum re vera non ens asseruimus.)