Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment pour le corps lui-même une telle explication. Cette répugnance instinctive a une raison : la chose en soi, en tant qu’elle se manifeste à l’homme comme son corps propre, est connue immédiatement, il n’en a, au contraire, qu’une connaissance médiate lorsqu’elle lui apparaît réalisée dans les objets extérieurs. Mais l’ordre de nos recherches rend nécessaire cette abstraction, cette étude unilatérale du problème et cette séparation violente de ce qui en soi est essentiellement uni : il nous faut donc vaincre momentanément notre répugnance ; elle peut, d’ailleurs, être diminuée par cette perspective rassurante, que les réflexions ultérieures doivent combler cette lacune provisoire et conduire à une connaissance intégrale de l’essence du monde.

Le corps est donc considéré ici comme un objet immédiat, c’est-à-dire comme la représentation qui sert de point de départ au sujet dans la connaissance ; elle précède, en effet, avec toutes ses modifications directement perçues, l’emploi du principe de causalité, et lui fournit ainsi les premières données auxquelles il s’applique. L’essence de la matière consiste, nous l’avons montré, dans son activité. Or, il n’y a d’action et de causalité que pour l’entendement, cette faculté n’étant que le corrélatif subjectif de l’action et de la causalité. Mais jamais l’entendement n’entrerait en activité s’il ne trouvait pas dans autre chose que lui-même un point de départ. Cette autre faculté est la sensibilité proprement dite ou conscience directe des changements qui se produisent dans le corps et en font un objet immédiat.

Par suite, deux conditions fondent, pour nous, la possibilité de la connaissance du monde de l’intuition : la première, exprimée objectivement, est la puissance qu’ont les objets matériels d’agir les uns sur les autres et de se modifier mutuellement ; sans cette propriété générale des corps, même avec la seule intervention de la sensibilité animale, aucune intuition ne serait possible. Si maintenant nous voulons formuler subjectivement cette première condition, nous dirons que c’est, avant tout, l’entendement qui rend possible l’intuition : c’est de l’entendement, en effet, que procède la loi de causalité valable seulement pour lui et fondant l’existence d’un tel rapport ; si donc il y a un monde de l’intuition, c’est uniquement pour lui et par lui qu’il existe. La seconde condition est la sensibilité que possède l’organisme animal, et la propriété inhérente à certains corps d’être immédiatement objets du sujet. Les simples modifications éprouvées par les organes des sens, en vertu des impressions extérieures qu’ils sont propres à recevoir, peuvent déjà être appelées représentations, si elles ne produisent ni plaisir ni douleur ; bien qu’alors elles n’aient aucune signification pour la volonté, elles sont néanmoins perçues, elles existent donc unique-