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goût le sont encore d’une façon plus marquée. Ces deux derniers sens sont ceux qui se commettent le plus souvent avec la partie volontaire de notre être : c’est pour cela qu’ils demeurent les moins nobles et que Kant les a appelés sens subjectifs. Le plaisir produit par la lumière se ramène donc en réalité à la joie que nous cause la possibilité objective de la connaissance intuitive la plus pure et la plus parfaite ; nous devons en conclure que la connaissance pure, débarrassée et affranchie de toute volonté, constitue quelque chose d’éminemment délectable ; elle est, à ce titre, un élément important de la jouissance esthétique. — Cette façon de considérer la lumière nous explique la beauté étrange que nous présente le reflet des objets dans l’eau. Les corps échangent les uns avec les autres une réaction à laquelle nous sommes redevables de la plus pure et de la plus parfaite d’entre nos perceptions ; cette réaction, subtile, prompte et délicate entre toutes, n’est autre que la réflexion des rayons lumineux : or, dans ce phénomène, elle se présente à nous sous sa forme la plus claire, la plus manifeste, la plus complète ; elle nous montre la cause et son effet, d’une manière pour ainsi dire amplifiée : telle est la cause du plaisir esthétique que nous prenons à ce spectacle, plaisir qui, pour sa partie essentielle, se fonde sur le principe subjectif de la jouissance esthétique, plaisir qui se ramène à la joie que nous procurent la connaissance pure et les voies qui y mènent[1].


§ 39.


Nous avons cherché à mettre en lumière la part subjective du plaisir esthétique (en parlant de part subjective, j’entends ce qui dans ce plaisir se ramène à la joie d’exercer la faculté de connaître d’une manière pure, intuitive, indépendante de la volonté). À cette étude se rattache, comme dépendance directe, l’analyse de cet état d'esprit que l’on nomme le sentiment du sublime.

Nous avons déjà remarqué, plus haut, que ce ravissement qui constitue l’état d’intuition pure se produit surtout lorsque les objets s’y prêtent, c’est-à-dire lorsque, grâce à leur forme variée, mais en même temps claire et précise, ils deviennent aisément les images de leurs Idées ; c’est en quoi consiste précisément leur beauté, prise dans son sens objectif. C’est surtout la belle nature

  1. À ce paragraphe se rapporte le chapitre XXXIII des Suppléments.