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dans la conscience, indépendamment des objets qui apparaissent dans ces formes, et qui en font tout le contenu. En d’autres termes, on peut les trouver aussi bien en partant du sujet qu’en partant de l’objet ; c’est pourquoi on peut les appeler avec autant de raison : modes d’intuition du sujet, ou propriétés de l’objet, en tant qu’il est objet (chez Kant, phénomène), c’est-à-dire représentation. Mais on peut encore considérer ces formes comme les limites irréductibles du sujet et de l’objet ; aussi tout objet doit-il apparaître en elles, et le sujet, en revanche, indépendant de l’objet qui apparaît, doit l’embrasser entièrement et le dominer. — Maintenant, les objets apparaissant sous ces formes ne devaient pas être de vains fantômes, mais avoir une signification, exprimer quelque chose qui ne serait pas encore un objet comme eux, une représentation, quelque chose de purement relatif et de conditionné par le sujet, quelque chose qui existerait indépendamment de toute condition essentielle et de toute forme, c’est-à-dire une représentation : l’objet, pour avoir un sens, doit exprimer la chose en soi. C’est ce qui expliquerait cette question toute naturelle : Ces objets, ces représentations sont donc quelque chose, en dehors de ce fait qu’ils sont des représentations ? Et alors que sont : ils, dans ce cas ? Par quel autre côté diffèrent-ils si profondément de la représentation ? Qu’est-ce, enfin, que la chose en soi ? — C’est la volonté, telle a été notre réponse, mais nous en ferons abstraction pour le moment.

Quoi que puisse être la chose en soi, Kant a eu grandement raison de conclure que le temps, l’espace et la causalité (que nous avons reconnus plus haut comme les formes du principe de raison, de même que nous avons reconnu ce dernier comme l’expression générale des formes phénoménales), Kant a eu raison, dis-je, de conclure que ces trois formes ne sont pas des déterminations de la chose en soi, et qu’elles ne peuvent lui convenir qu’autant qu’elle est elle-même représentation, c’est-à-dire qu’elles appartiennent au phénomène, et non à la chose en soi ; si, en effet, le sujet les tire de lui-même et en a une connaissance parfaite indépendamment de tout objet, elles font toute l’existence de la représentation en tant que telle, mais non de ce qui devient représentation. Elles doivent être la forme de la représentation en tant que telle, mais non une propriété de ce qui a pris cette forme. Elles doivent être déjà données dans la simple opposition du sujet et de l’objet (non pas dans le concept, mais en réalité), par conséquent n’être que la détermination la plus précise de la forme de la connaissance, tandis que cette opposition elle-même en est la plus générale. Tout ce qui est conditionné dans le phénomène, dans l’objet, par le temps, l’espace et la cause, en tant que cela ne peut être représenté que par leur intermédiaire, à savoir : la pluralité, par la coexistence et la