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les plus faibles de ses manifestations, s’efforce obscurément, toujours dans le même sens, et qui cependant, parce qu’il est partout et toujours identique à lui-même, — de même que l’aube et le plein midi sont le rayonnement du même soleil, — mérite, ici comme là, le nom de volonté, par où je désigne l’essence de toutes choses, le fond de tous les phénomènes.

La distance, et même l’opposition apparente qu’il y a entre les phénomènes du monde inorganique et la volonté que nous regardons comme ce qu’il y a de plus intime dans notre essence, vient principalement du contraste qui se remarque entre le caractère de détermination des uns et l’apparence de libre arbitre qui retrouve dans l’autre, car, chez l’homme, l’individualité ressort puissamment : chacun a son propre caractère ; c’est pourquoi le même motif n’a pas la même puissance sur tous, et mille circonstances qui ont place dans la vaste sphère de connaissance de l’individu et restent inconnues aux autres modifient son action. C’est pourquoi encore l’acte réglé par des motifs ne peut être à l’avance déterminé, parce que l’autre facteur manque, c’est-à-dire la notion exacte du caractère individuel et des connaissances qui l’accompagnent. Les manifestations des forces naturelles nous présentent l’extrême contraire ; elles agissent suivant des lois générales, sans déviation, ni individualité, dans des conditions données, soumises à la plus exacte des prédéterminations, et la même force de la nature se manifeste toujours de la même façon, dans des millions de cas. Nous allons, pour éclaircir ce point, pour faire ressortir l’identité de la volonté une et indivisible sous toutes ses formes, les plus humbles comme les plus hautes, nous allons, dis-je, considérer le rapport qu’il y a entre la volonté, comme chose en soi, et son phénomène, c’est-à-dire entre le monde comme volonté et le monde comme représentation : ce sera la meilleure façon d’arriver à une notion vraiment approfondie de toute la matière traitée dans ce deuxième livre[1].


§ 24.


L’illustre Kant nous a appris que le temps, l’espace et la causalité, avec toutes leurs lois et toutes leurs formes possibles, existent

  1. Voir le chapitre XXIII des Suppléments ; de même, dans mon livre la Volonté dans la nature, le chapitre intitulé : « Physiologie des plantes » et cet autre : « Astronomie physique, » très important au point de vue du principe de ma métaphysique.