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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

naire était mauvaise : car dans ses décisions elle était poussée par l’aiguillon des sens ; l’autre était au contraire, une volonté plus noble, guidée par la pure raison, et qui dépendait uniquement de l’âme immatérielle. Personne n’a exposé avec plus de clarté cette théorie, que le cartésien de La Forge, dans son Tractatus de mente humana, cap. XXIII : « Non nisi eadem voluntas est, quæ appellatur appetitus sensitivus, quando excitatur per judicia, quæ formantur consequenter ad perceptiones sensuum ; et quæ appetitus rationalis nominatur, quum mens judicia format de propriis suis ideis, independenter a cogitationibus sensuum confusis, quæ inclinationum ejus sunt causæ… Id, quod occcasionem dedit, ut duæ istæ diversæ voluntatis propensiones pro duobus diversis appetitibus sumerentur, est, quod sæpissime unus alteri opponatur, quia propositum, quod mens superædificat propriis suis perceptionibus, non semper consentit cum cogitationibus, quæ mentia corporis dispositione suggeruntur, per quam saepe obligatur ad aliquid volendum, dum ratio ejus eam aliud optare facit[1]. » C’est enfin en vertu d’une réminiscence de ces idées, dont Kant n’eut pas une conscience claire, que reparut chez lui la théorie de l’Autonomie de la volonté : c’était chez lui le commandement de la Raison pure et pratique, commandement qui fait loi pour tous les êtres raisonnables, en tant que tels, et pour lequel il n’y a de motifs déterminants que de l’ordre formel : à ceux-là

  1. « C’est la même volonté qui, d’une part, prend le nom d’appétit sensitif, quand elle a pour excitant des jugements formés en nous en conséquence des perceptions des sens ; et qui de l’autre s’appelle appétit rationnel, quand l’esprit forme des jugements touchant ses propres idées, et indépendamment des pensées confuses des sens, qui sont causes de ses inclinations… Ce qui a donné occasion parfois, de voir dans ces deux tendances diverses de la volonté deux appétits différents, c’est que très-souvent elles s’opposent l’une à l’autre ; car tel dessin, que l’esprit construit sur le fondement de ses perceptions propres, ne s’accorde pas toujours avec les pensées que lui suggère l’état du corps, et ainsi cet état l’oblige à vouloir une chose, au moment où la raison lui en fait souhaiter une autre. » — (TR.)