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DU FONDEMENT DE LA MORALE DANS KANT.

purs a priori, vides de toute matière empirique, au sein desquels doit se former ce précipité, les lois de l’activité réelle de l’homme. Singulier phénomène, dont nous avons toutefois un symbole : c’est quand de trois gaz invisibles, azote, hydrogène, chlore, au milieu par conséquent d’un espace en apparence vide, sous nos yeux se produit un corps solide, l’ammoniaque. — Je vais exposer le procédé que suit Kant pour résoudre ce difficile problème ; j’y mettrai plus de clarté qu’il n’a pu ou voulu y en mettre. L’entreprise est d’autant plus nécessaire qu’il est rare de voir bien interpréter Kant en ce point. Presque tous les Kantiens se sont persuadé à tort que, pour Kant, l’impératif catégorique était un fait de la conscience reconnu immédiatement. À ce compte, l’impératif eût été fondé sur un fait d’anthropologie, d’expérience (intérieure, il n’importe), fondé par conséquent sur une base empirique ; rien de plus directement contraire à la pensée de Kant : c’est une idée qu’il a combattue à plus d’une reprise. Ainsi p. 48, R. 44 : « Ce n’est pas par expérience, dit-il, qu’on peut décider, s’il existe rien de pareil à un tel impératif catégorique. » De même p. 49, R. 45 : « L’impératif catégorique est-il possible ? c’est a priori, qu’il faut s’en enquérir. Car nous n’avons pas le bonheur de pouvoir apprendre de l’expérience, qu’il existe en fait. » Au contraire, déjà son premier disciple, Reinhnold, a commis l’erreur en question, dans ses « Contributions à un tableau d’ensemble de la philosophie au commencement du dix neuvième siècle, » 2e livraison, p. 21, il dit ceci : « Kant admet la loi morale comme un fait de certitude immédiate, comme un phénomène premier de la conscience morale. » Mais si Kant avait voulu, pour fonder l’impératif catégorique, en faire un fait de conscience, lui donner une base empirique, il n’eût pas manqué de le montrer sous cet aspect. Or c’est ce qu’il n’a fait nulle part. À ma connaissance, la première mention de l’impératif catégorique se trouve dans la Critique de la Raison pure (1re éd. p. 802 ; 5e éd. p. 830) : elle y arrive sans que rien l’ait annoncée, sans autre lien avec les idées précédentes qu’un « donc » qui n’a pas de raison d’être ; bref, à l’improviste. La première fois que l’impé-