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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

autrement dit les fonctions de notre intelligence ; grâce auxquelles seules il nous est possible de construire un monde objectif ; hors desquelles ce monde ne peut être représenté, ce qui fait que ces formes imposent à ce monde des lois absolues, et que l’expérience, en tous les cas possibles, doit s’y soumettre, aussi nécessairement que, si je regarde à travers un verre bleu, tout doit s’offrir à moi avec la couleur bleue ; — et de l’autre, cette prétendue loi morale a priori, à laquelle chaque expérience donne un démenti, à ce point qu’on peut douter, c’est Kant qui le dit, si jamais, en un seul cas, la réalité connue par l’expérience s’y est vraiment soumise. Voilà les choses dissemblables que l’on réunit ici sous le nom de l’a priori ! En outre Kant oubliait une chose : c’est que selon sa propre doctrine, exposée dans sa propre philosophie théorique, le caractère a priori même des susdites notions, leur indépendance à l’égard de l’expérience, limitait leur portée au phénomène seul, à la représentation des choses telle qu’elle se fait dans notre tête ; que par là même ces notions ne s’appliquaient en rien à la substance même des choses, prise en soi, à ce qui existe réellement et en dehors de notre façon de voir. Pour être conséquent, il devait pareillement, dans sa philosophie pratique, puisque sa prétendue loi morale naît a priori dans notre tête, en faire une simple forme du phénomène, sans pouvoir sur la substance même des choses. Mais cette conclusion eût été en contradiction flagrante et avec la réalité, et avec l’idée que s’en faisait Kant lui-même : car il ne cesse (ainsi dans la Critique de la Raison pratique, p. 175 ; R. 228) de mettre la plus étroite liaison entre ce qu’il y a en nous de moral et la véritable substance des choses en soi : bien plus par l’acte moral, nous agissons directement, selon lui, sur cette substance. Même dans la Critique de la Raison pure, partout où cette mystérieuse chose en soi apparaît en un jour moins obscur, on peut deviner qu’elle est l’élément moral en nous, la volonté. — Mais ce sont là choses dont Kant se soucie peu.

J’ai fait voir au § 4, comment Kant avait admis la forme im-