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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

renouvelées par le progrès. Sans doute, c’est parce qu’elle a connu ce besoin, de jour en jour plus pressant, que la Société Royale a proposé la question si grave dont il s’agit ici.

De tout temps on a vu mettre la morale en bons et nombreux sermons : quant à la fonder, c’est à quoi l’on n’a jamais réussi. À voir les choses d’ensemble, on s’aperçoit que les efforts de tous ont toujours tendu à ceci : trouver une vérité objective, d’où puissent se déduire logiquement les préceptes de la morale. Cette vérité, on l’a cherchée tantôt dans la nature des choses, tantôt dans la nature humaine : mais en vain. En résultat, toujours on a trouvé que la volonté de l’homme va à son propre bien-être, à ce qui, entendu dans son sens le plus complet, s’appelle le bonheur ; qu’ainsi, par son penchant propre, elle suit une route toute différente de celle que la morale aurait à lui enseigner. Maintenant ce bonheur, on cherche à le concevoir tantôt comme identique à la vertu, tantôt comme une conséquence et un effet de la vertu : de part et d’autre, échec ; et pourtant ce n’est pas qu’on y ait épargné les sophismes. On a eu recours tour à tour à des propositions découvertes a priori et à des propositions a posteriori, pour en déduire la règle de la droite conduite : mais ce qui manquait, c’était un point d’appui dans la nature humaine, qui nous donnât le moyen de résister au penchant égoïste, et de diriger nos forces dans un sens inverse. Quant à énumérer et à critiquer ici tous les principes sur lesquels on a voulu jusqu’à présent asseoir la morale, l’entreprise me paraît superflue : d’abord parce que je suis de l’avis de saint Augustin : « Ce n’est pas tant aux opinions des hommes qu’il faut regarder, mais à la vérité en elle-même. » (« Non est pro magno habendum quid homines senserint, sed quæ sit rei veritas. ») Ensuite, ce serait vraiment là « porter des chouettes à Athènes » (γλαῦκας εἰς Ἀθῆνας κομίζειν) : car la Société Royale connaît assez les tentatives de nos prédécesseurs pour fonder l’éthique, et par la question qu’elle nous propose, elle donne assez à entendre qu’elle en sent bien l’insuffisance. Quant aux lecteurs moins bien renseignés, ils trouveront un résumé non