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FONDEMENT MÉTAPHYSIQUE.

nous l’avons vu enfin, de toute action pure d’égoïsme : or c’est à de telles actions, à celles-là seules, qu’on reconnaît une valeur morale. Tant de philosophes parmi les modernes considèrent les notions de bien et de mal comme des notions simples, c’est-à-dire qui n’ont besoin ni ne sont capables d’aucune explication, et s’en vont là-dessus, d’un air de mystère et de dévotion, parlant d’une Idée du Bien, dont ils font la base de leur morale ou dont ils se servent pour masquer la fragilité de cette même morale[1], que je me vois forcé à placer ici un mot d’explication : ces concepts ne sont rien moins que simples et donnés a priori ; ils expriment une relation, et nous les prenons dans notre expérience de tous les jours. Tout ce qui est conforme aux désirs d’une volonté individuelle se nomme, par rapport à cette volonté, bon ; exemples : de bonne nourriture, un bon chemin, un bon présage ; le contraire est dit mauvais, et s’il s’agit d’êtres vivants, méchant. Si un homme, en vertu de son caractère, n’aime pas à faire obstacle aux désirs d’autrui, mais plutôt y aide et y concourt selon son pouvoir, ceux qu’il secourt l’appellent, dans le même sens du mot que ci-dessus, un homme bon : ainsi l’idée de bonté lui est appliquée par un sujet qui en juge toujours d’un point de vue relatif, empirique, et en qualité de patient. Si maintenant nous considérons le caractère de l’homme bon, non plus par rapport aux autres, mais en lui-même, nous voyons alors, par ce qui a été dit précédemment, qu’il prend une part directe au bien et au mal d’autrui ; que la raison en est dans le sentiment de la pitié ; qu’enfin c’est de là que naissent en lui ces deux vertus, la justice et la charité. Si nous revenons à considérer ce qui fait l’essence

  1. La notion du Bien, prise dans sa pureté, est une notion primitive, « une idée absolue, dont le contenu se perd dans l’infini ». (Bouterweck, Aphorismes pratiques, p. 54.) On le voit, il s’en faut de peu qu’il ne fasse de cette notion si simple, disons mieux, triviale, du bien, un Διιπετής[NdT 1], afin de pouvoir la placer, comme une idole dans un temple.
    1. « Envoyé de Jupiter. » (TR.)