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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

devoirs envers nous-mêmes, l’importance morale d’une action ne peut dépendre que de l’effet produit sur autrui : c’est seulement par rapport à autrui qu’elle peut avoir une valeur morale ou mériter des reproches, être un acte de justice et de charité, ou bien le contraire.


Par ces prémisses ce qui suit est évident : Le bien et le mal dont la pensée doit (voir la prémisse 3) se retrouver au fond de toute action ou omission, car ils en sont la fin dernière, touchent ou bien l’agent lui-même, ou bien un autre, celui qui est intéressé dans l’acte à titre de patient. Dans le premier cas, nécessairement l’acte est égoïste : il a pour principe un motif d’intérêt. Tel est le cas, non-seulement quand on agit en vue de son propre intérêt et profit, comme il arrive le plus souvent, mais aussi bien quand de l’acte qu’on accomplit, on attend quelque effet éloigné, soit dans ce monde, soit dans l’autre, mais qui concerne l’agent ; quand on a en vue de l’honneur pour soi, une bonne renommée à acquérir, le respect d’un homme à gagner, la sympathie du spectateur, etc. ; et de même absolument, quand, par tel acte, on se propose de maintenir une certaine maxime, et que, de l’établissement de cette maxime parmi les hommes, on a lieu d’espérer quelque bien pour soi-même, en de certaines occurrences : ainsi la maxime de la justice, celle qu’il se faut entr’aider, etc. ; — la chose est pareille, quand, en face d’un commandement absolu, émané d’une puissance à vrai dire inconnue, mais évidemment supérieure, nous jugeons sage d’obéir : car alors ce qui nous pousse c’est purement la crainte des conséquences fâcheuses de la désobéissance, et il n’importe que ces conséquences s’offrent à nous seulement d’une façon vague et indéterminée ; — ou bien, quand on veut, avec une conscience plus ou moins claire de ce qu’on fait, sauvegarder la haute opinion qu’on a de soi, de sa dignité, de sa valeur, et qu’il faudrait aban-