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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

læde. » — Si la joie maligne n’est qu’une disposition théorique à la cruauté, la cruauté n’est que cette disposition mise en pratique : l’une et l’autre se manifesteront à la première occasion.

De poursuivre dans le détail les vices qui naissent de ces deux facteurs premiers, c’est une recherche qui serait à sa place dans une éthique complète, non ici. Il faudrait alors déduire de l’égoïsme la gourmandise, l’ivrognerie, la luxure, le souci de nos intérêts, l’avidité, l’avarice, l’iniquité, la dureté de cœur, l’orgueil, la vanité, etc. — et de l’esprit de haine, la jalousie, l’envie, la malveillance, la méchanceté, la disposition à se réjouir du mal, la curiosité indiscrète, la médisance, l’insolence, la violence, la haine, la colère, la traîtrise, la rancune, l’esprit de vengeance, la cruauté, etc. — Le premier principe est plutôt bestial ; le second, plutôt diabolique. C’est toujours l’un de ces deux qui l’emporte, ou bien l’autre, excepté là où dominent les principes moraux dont on parlera plus loin : de là les grandes lignes d’une classification morale des caractères. D’ailleurs, il n’est aucun homme qui ne rentre dans l’un de ces trois genres.

J’en ai fini avec cette effroyable revue des puissances antimorales, qui rappelle celle des princes des ténèbres dans le Pandémonium de Milton. Mais mon plan l’exigeait : je devais considérer ces côtés sombres de la nature humaine. En cela ma voie s’écarte peut-être de celle de tous les autres moralistes : elle ressemble à celle de Dante, qui d’abord conduit aux enfers.

Quand on a ainsi embrassé d’un coup d’œil les tendances contraires à la moralité, on voit combien c’est un problème difficile, de découvrir un motif capable de résister à ces instincts si fort enracinés dans l’homme, capable de nous conduire dans une voie toute opposée ; ou bien, si l’expérience nous offre des exemples d’hommes engagés dans cette voie, quelle difficulté c’est, de rendre raison de ces faits, d’une façon satisfaisante et naturelle. Si malaisé est le problème, que pour le résoudre au profit de l’humanité prise en masse, toujours on a dû s’aider de machines empruntées à un autre monde. Toujours on s’est adressé à des