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CHAPITRE III.

ÉTABLISSEMENT DE LA MORALE.

§ 12. — Conditions du Problème.

Ainsi le fondement sur lequel Kant a établi la morale, et qui depuis soixante ans, passait pour solide, s’abîme sous nos yeux dans ce gouffre profond, qui peut-être jamais ne sera comblé, des erreurs philosophiques : il se réduit, nous le voyons clairement, à une supposition insoutenable, et à un pur déguisement de la morale théologique. — Les tentatives antérieures pour fonder la morale peuvent encore moins nous satisfaire. C’est là, je l’ai dit, un point que je peux prendre pour admis. Ce n’est d’ordinaire qu’affirmation sans preuves, tout en l’air, et en même temps, comme on a vu par l’exemple de Kant même, subtilités artificielles, exigeant les distinctions les plus fines, assises sur les notions les plus abstraites, combinaisons pénibles, règles pour la recherche, propositions qui se tiennent en équilibre sur la pointe d’une aiguille, maximes perchées sur des échasses, du haut desquelles on perd de vue la vie réelle et ses tumultes. Tout cela est excellent, pour faire résonner les murs d’une salle, et exercer l’esprit à la pénétration : mais ce n’est pas de là que peut venir cette voix, bien réelle pourtant, qui se fait entendre en chaque homme, et qui l’invite à être juste et bon ; ce n’est pas là de quoi tenir en échec nos tendances si fortes à l’injustice et à la dureté, ni enfin pour donner leur force légitime aux reproches de la conscience : car de les justifier par ceci, que ces maximes subtiles ont été transgressées, c’est vouloir les rendre ridicules. Non, pour qui traite les choses