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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

Mais si rigoureuse que soit la nécessité, avec laquelle, dans un caractère donné, les actes résultent des motifs, jamais personne, non pas même les partisans convaincus de cette théorie de la nécessité, ne se sont mis en tête de tirer de là une excuse, et de rejeter la faute sur leurs motifs : car, chacun le sait bien, au point de vue des faits mêmes et des causes occasionnelles, c’est-à-dire dans la réalité des choses, l’acte contraire était possible, elle aurait eu lieu, si seulement lui, il avait été autre qu’il n’est. Mais c’est d’être tel qu’il se révèle par son acte, et de n’être pas un autre, c’est là ce dont il se sent responsable : le point sensible à l’aiguillon de la conscience, c’est dans l’esse qu’il se trouve. Qu’est-ce en somme que la conscience ? C’est la connaissance que nous prenons de notre moi lui-même à force d’en considérer la conduite propre, et qui devient de plus en plus profonde. Aussi c’est à l’esse que la conscience s’en prend : l’operari n’est que l’occasion de ses reproches. Or, comme la liberté ne nous est révélée que par la responsabilité, là où se trouve celle-ci, doit être aussi la première : elle réside dans l’esse. Quant à l’operari, il tombe sous le coup de la nécessité. Maintenant, nous n’apprenons à nous connaître, nous-mêmes et les autres, que par expérience, nous n’avons pas de notre caractère une notion a priori. Au contraire, nous commençons par nous en faire une très-haute idée : car l’axiome « quisque præsumitur bonus, donec probetur contrarium[1] », vaut aussi dans notre prétoire intérieur.

REMARQUE.

Quiconque sait reconnaître l’essentiel d’une pensée même sous des costumes fort divers, verra, comme je fais moi-même, sous cette théorie kantienne des deux caractères, empirique et intelligible, la même idée, mais élevée à l’état abstrait, et par là éclaircie, qu’avait déjà Platon : seulement Platon, n’ayant pas

  1. « Tout individu est présumé honnête, jusqu’à preuve du contraire. » (TR.)