Page:Schopenhauer - Le Fondement de la morale, traduction Burdeau, 1879.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
DU FONDEMENT DE LA MORALE DANS KANT.

santes leçons en chaire, avec tous ses écrits, n’a plus guère de temps pour des études profondes. Le proverbe : docendo disco[1], n’est pas vrai sans réserve ; parfois, on aurait droit de le parodier, et de dire : semper docendo, nihil disco[2] Et dans Diderot, le Neveu de Rameau n’a pas tout à fait tort : « Et ces maîtres, croyez-vous donc, qu’ils sauront les sciences dont ils donneront des leçons ? Chansons, cher Monsieur, chansons. S’ils possédaient ces choses assez pour les montrer, ils ne les montreraient pas. — Pourquoi donc ? — C’est qu’ils auraient passé leur vie à les étudier. » (Traduction par Goethe, p. 104). — Lichtenberg dit aussi : « J’ai déjà fait cette remarque : bien souvent ce n’est pas les gens du métier qui le savent le mieux. » Mais, pour revenir à la morale kantienne, parmi le public, la plupart ne regardent qu’au résultat : s’il est en harmonie avec leurs sentiments moraux, ils supposent aussitôt que la déduction en a été correcte ; et si elle paraît difficile, ils ne s’en embarrassent pas outre mesure : ils se remettent de cela aux gens « du métier ».

Ainsi le procédé de Kant pour fonder sa loi morale ne consiste pas à la reconnaître, empiriquement, pour un fait de conscience ; ni à faire appel au sentiment moral ; ni à se jeter dans une de ces pétitions de principe qu’on décore aujourd’hui du grand nom de « postulat absolu » ; il y a là un raisonnement fort subtil, qu’il refait à deux reprises, pp. 17 et 51, R. 22 et 46 : en voici un exposé, plus clair que l’original.

Kant avait, par mépris pour tous les mobiles empiriques de la volonté, écarté d’avance, et comme empirique, tout fondement pris soit dans l’objet soit dans le sujet, et où l’on eût pu établir une loi de la volonté : dès lors, il reste pour toute matière à cette loi, sa propre forme, sans plus. Cette forme, c’est ce qu’on nomme le caractère de la légalité. Celle-ci a pour toute essence, de s’appliquer à tous : elle revient donc à l’universalité. Et voilà toute la matière de la loi. Le contenu de la loi se réduit là : à l’univer-

  1. « À enseigner, on apprend. » (TR.)
  2. .« À toujours enseigner, on n’apprend rien. » (TR.)