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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

réalité, au fond, ils portent contre ce que nous sommes ; nos actes ne sont qu’un indice, d’ailleurs irrécusable, car ils sont à notre caractère ce que les symptômes sont à la maladie. C’est donc à cet esse, à ce que nous sommes, que doivent s’attacher aussi la faute et le mérite. Ce que nous respectons et aimons, ce que nous méprisons et haïssons en un homme, ce n’est pas une apparence changeante et variable, mais un fond solide, à jamais immuable : ce fond, c’est son être. Et quand nous revenons sur notre premier sentiment, nous ne disons pas : il a changé ; mais bien : je m’étais trompé sur son compte. S’agit-il de nous, de la satisfaction ou du mécontentement que nous avons à nous contempler ? c’est encore à nous-mêmes, à l’être que nous sommes, et que nous serons à jamais et irrévocablement, que ces sentiments-là s’adressent : et la même vérité s’applique aussi aux qualités de l’intelligence, bien plus, aux traits de la physionomie. Comment dès lors ne serait-ce pas à notre être que doivent être rapportés la faute et le mérite ? — Nous faisons donc une connaissance de jour en jour plus ample avec nous-mêmes ; le registre de nos actes va se remplissant : ce registre, c’est la conscience. Le thème sur lequel s’exerce notre conscience, c’est avant tout nos actes, ceux de nos actes où, la pitié nous ordonnant au moins de ne pas nuire aux autres, et même de leur prêter aide et secours, nous sommes restés sourds à sa voix, pour écouter l’égoïsme, la méchanceté peut-être, ou bien, méprisant ces deux sortes de tentations, nous lui avons obéi. On peut par celle de ces deux alternatives où nous nous sommes arrêtés, mesurer la distance que nous mettons entre nous et les autres. C’est par cette distance qu’il faut juger du degré de notre valeur morale ou de notre immoralité, de ce qu’il y a en nous de justice et de charité, ou bien de dispositions contraires. Peu à peu s’accroît la liste de celles de nos actions dont le témoignage sur ce point est significatif : l’image de notre caractère s’achève ainsi trait par trait, et nous arrivons à nous connaître nous-mêmes. Alors aussi se forment des sentiments de satisfaction ou de mécontentement, au sujet de ce que nous sommes, et ici tout