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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

cagot se travailler pour établir une distinction absolue, radicale, entre l’homme et l’animal, allant même jusqu’à s’en prendre aux vrais zoologistes, à ceux qui, sans lien avec la prêtraille, sans platitude, sans tartuferie, se laissent conduire par la nature et la vérité ; jusqu’à les attaquer ; jusqu’à les calomnier !

Il faut vraiment être bouché, avoir été endormi comme au chloroforme par le fœtor judaïcus[1], pour méconnaître cette vérité : que dans l’homme et la bête, c’est le principal, l’essentiel qui est identique, que ce qui les distingue, ce n’est pas l’élément premier en eux, le principe, l’archée, l’essence intime, le fond même des deux réalités phénoménales, car ce fond, c’est en l’un comme en l’autre la volonté de l’individu ; mais qu’au contraire, cette distinction, c’est dans l’élément secondaire qu’il faut la chercher, dans l’intelligence, dans le degré de la faculté de connaître : chez l’homme, accrue qu’elle est du pouvoir d’abstraire, qu’on nomme Raison, elle s’élève incomparablement plus haut ; et pourtant, cette supériorité ne tient qu’à un plus ample développement du cerveau, à une différence dans une seule partie du corps, et encore, cette différence n’est que de quantité. Oui, l’homme et l’animal sont, et pour le moral et pour le physique, identiques en espèce ; sans parler des autres points de comparaison. Ainsi on pourrait bien leur rappeler, à ces occidentaux judaïsants, à ces gardiens de ménagerie, à ces adorateurs de la Raison, que si leur mère les a allaités, les chiens aussi ont la leur pour les nourrir. Kant est tombé dans cette faute, qui est celle de son temps et de son pays : je lui en ai déjà fait le reproche. La morale du christianisme n’a nul égard pour les bêtes : c’est en elle un vice, et il vaut mieux l’avouer que l’éterniser ; on doit au reste d’autant plus s’étonner de l’y trouver, que cette morale, pour tout le reste, est dans un accord frappant avec celles du Brahmanisme et du Boudhisme : seulement elle est moins forte dans ses expressions, et ne tire pas les conséquences dernières de

  1. La puanteur juive. (TR.)