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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

ne s’effraie pas de périls voisins et certains, un péril éloigné et qui est pur objet de croyance n’est point pour le faire reculer. Et d’ailleurs, contre toute bonne action inspirée par les seules croyances religieuses, s’élève toujours cette objection, qu’elle n’est pas désintéressée, qu’elle part de la pensée d’une récompense et d’un châtiment à attendre, enfin qu’elle est sans valeur morale. C’est ce qu’exprimait déjà avec force, dans une de ses lettres, l’illustre grand-duc Charles-Auguste de Weimar[1] : « Le baron Weyhers, dit-il, trouvait lui-même, qu’il faut être un bien grand coquin, pour être incliné au bien par la seule religion, et non par nature. In vino veritas. » (Lettres à J. H. Merck, lettre 229.) — Maintenant, en regard, que l’on place le motif moral tel que je l’ai proposé ! Qui ose un instant mettre en doute cette vérité, qu’en tous temps, chez tous les peuples, dans toutes les occasions de la vie, même en ces moments où il n’y a plus de lois, même au milieu des horreurs des révolutions et des guerres, dans les grandes comme dans les petites choses, chaque jour, à chaque heure, ce motif fait preuve d’une efficacité marquée et vraiment merveilleuse, que quotidiennement il empêche plus d’une injustice, provoque nombre de bonnes actions sans espoir de récompense, et bien souvent là où on les attendait le moins, qu’enfin partout où il agit et où il agit seul, tous nous reconnaissons là, sans réserve, avec respect, avec vénération, la dignité morale véritable ?

4. — En effet, une compassion sans bornes qui nous unit avec tous les êtres vivants, voilà le plus solide, le plus sûr garant de la moralité : avec elle, il n’est pas besoin de casuistique. Qui la possède, sera bien incapable de causer du dommage à personne, de violenter personne, de faire du mal à qui que ce soit ; mais plutôt pour tous il aura de la longanimité, il pardonnera, il aidera de toutes ses forces, et chacune de ses actions sera marquée au coin de la justice et de la charité. En revanche, essayez de dire :

  1. L’ami de Goethe et de Schiller. (TR.)