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v. morale et religion

impulsion du Vouloir est définitivement suspendue. — Pour nous autres, qu’enveloppe encore le voile de Maya, il nous arrive bien aussi parfois, quand nous traversons de dures souffrances, ou quand nous sommes distinctement conscients de la souffrance d’autrui, de réaliser toute l’amertume de la vie et d’en reconnaître le néant ; et dans ces moments-là nous aspirons à briser, nous aussi, par un renoncement total et irrévocable, l’aiguillon de nos convoi- tises et à tarir par là-même la source de tous nos tourments, pour nous purifier et nous sanctifier. Mais le monde de l’illusion ne tarde pas à nous circonvenir de plus belle et à réveiller notre Vouloir en lui proposant de nouveaux motifs ; nous ne parvenons pas à rompre nos liens. L’espérance, qui toujours nous leurre de perspectives nouvelles, les séductions du moment présent, l’attrait des plaisirs et du bien-être qui peuvent malgré tout nous échoir en partage au milieu des misères d’un monde gouverné par le hasard et l’erreur, ont vite fait de nous reprendre et de river plus fortement nos chaînes. C’est en ce sens que Jésus a dit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Cieux. »