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v. morale et religion

de toute nécessité que je souffre réellement avec lui de sa souffrance comme telle, que je la ressente comme je ne ressens en principe que la mienne et, par suite, que je veuille directement son bonheur, comme en principe je ne veux que le mien. Cette condition en implique à son tour une autre : c’est que je m’identifie en quelque manière avec mon prochain, c’est-à-dire que cette différence entre lui et moi sur laquelle repose précisément mon égoïsme se trouve, au moins dans une certaine mesure, supprimée. Mais comme je ne suis pas dans la peau de mon prochain, ce n’est que par la connaissance que j’ai de lui, par la représentation que je me fais de lui dans mon cerveau, que je par- viendrai à m’identifier avec lui au point que la nature de mon acte trahisse la suppression de cette différence qui me séparait de lui. — Le processus que nous venons d’analyser ainsi n’est point un rêve de notre imagination ; il ne s’agit point ici de contes en l’air ; il s’agit d’un phénomène parfaitement réel, et d’ailleurs nullement rare : c’est le phénomène quotidien de la pitié, cette « compassion », qui veut que je puisse participer directement, en négligeant toute autre considération, à la souffrance d’un autre et contribuer par là-même à la diminuer