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iv. de la vie et de la mort

son imagination à la réaliser nettement. A part cela, la réflexion ne peut pas grand’chose là où se fait entendre la voix puissante de la nature ; pour l’homme, aussi bien que pour l’animal incapable de penser, l’état normal et durable, c’est cette intime assurance, issue du tréfonds de sa conscience, d’être soi-même la nature, d’être soi-même l’Univers, qui veut qu’aucun être humain ne soit sensiblement troublé par l’idée d’une mort certaine et toujours relativement proche, mais qu’au contraire chacun vive sa vie jour après jour comme si elle devait être éternelle. On peut même aller jusqu’à dire que personne ne possède réellement la certitude de sa mort en tant que conviction vivante — sans quoi notre état ne différerait guère de celui du criminel condamné à l’échafaud — et que si elle est bien pour chacun une vérité admise théoriquement et in abstracto, on la relègue, précisément comme telle, parmi d’autres vérités théoriques inapplicables à la pratique, sans l’incorporer en aucune façon à sa conscience vivante. À considérer attentivement cette particularité de l’âme humaine, on s’apercevra que les explications psychologiques que plusieurs en donnent — habitude, résignation à l’inévitable — sont parfaitement in-