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iv. de la vie et de la mort

là où l’individu doit être amené à agir, ou parfois même à consentir un sacrifice, pour le maintien et la constitution future de l’espèce, son intellect, qui est adapté à des fins purement individuelles, ne lui permet pas de saisir l’importance de la chose assez clairement pour qu’il y conforme sa conduite. Aussi la nature ne peut-elle atteindre le but qu’elle se propose en pareil cas qu’en dotant l’individu d’une certaine faculté d’illusion, qui lui fera voir son propre bien dans ce qui en réalité ne doit profiter qu’à l’espèce, et l’amènera ainsi à travailler pour celle-ci en s’imaginant ne travailler que pour lui-même. L’individu devient ainsi la dupe d’un mirage, d’une pure chimère, destinée à s’évanouir tôt après, qui se substitue chez lui, comme mobile d’action, à une réalité. La source de cette illusion, c’est l’instinct. Dans la grande majorité des cas l’instinct doit être considéré comme le sens de l’espèce, lequel propose au Vouloir ce qui est de l’intérêt de la dite espèce. Mais comme, dans le cas de l’homme, le Vouloir s’est fait individuel, il faut qu’il soit abusé de façon à percevoir par le sens de l’individu ce que lui propose le sens de l’espèce ; si bien qu’il s’imaginera tendre à un but indi-