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iv. de la vie et de la mort

les plus éminents ; qu’il n’hésite pas à faire intrusion, avec ses frivoles attributs, dans les négociations des hommes d’Etat et dans les travaux des savants, habile à glisser ses billets doux et ses boucles de cheveux jusque dans le portefeuille du ministre ou le manuscrit du philosophe ; qu’il est d’ailleurs chaque jour l’instigateur des plus mauvaises affaires et des plus embrouillées, rompant les relations les plus précieuses, brisant les liens les plus solides, prenant pour victimes tantôt la vie ou la santé, tantôt le rang, la richesse, le bonheur, capable même d’ôter tout scrupule à l’honnête homme et de transformer en un traître l’être fidèle, si bien qu’il apparaît en somme comme un démon hostile, avide de tout déranger, de tout bouleverser, de tout détruire ; on en vient alors à se demander : pourquoi tant de bruit ? Pourquoi cette agitation, ces fureurs, ces angoisses, ces souffrances ? De quoi s’agit-il, après tout, sinon que chaque Jeannot trouve sa Jeannette[1] ? Pourquoi, dès lors, une pareille bagatelle devrait-elle jouer un rôle si considérable et apporter le trouble et la confusion dans la vie bien réglée des hommes ?

  1. Je ne pouvais employer ici le terme propre ; libre au lecteur de traduire ces mots dans le langage d’Aristophane. (Note de Schopenhauer.)