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la pensée de schopenhauer

manière « raisonnable », la seule qui ait cours et la seule qui serve dans la vie pratique aussi bien qu’en science ; les considérer en faisant abstraction de ce principe, c’est la manière géniale, la seule valable et la seule féconde en art. La première est celle d’Aristote ; la seconde est, en gros, celle de Platon. L’une est pareille à l’orage venu on ne sait d’où et qui s’en va au loin, sans but, courbant, secouant et entraînant avec lui toutes choses sur son passage ; l’autre est pareille au tranquille rayon de soleil qui coupe d’une ligne droite la route de cet orage, sans en être touché en rien dans son immobilité. L’une est comparable aux innombrables gouttes d’eau violemment projetées par la cascade, et dont la mouvante succession ne connaît pas un instant de trêve ; l’autre à l’arc-en-ciel qui repose en paix sur ces tourbillons déchaînés.

Seule la pure contemplation, entièrement absorbée dans l’objet, telle que je l’ai décrite plus haut, peut concevoir les Idées, et l’essence du génie consiste précisément dans une aptitude prépondérante à cette sorte de contemplation. Or comme celle-ci exige de l’être humain un oubli total de sa propre personne et de tout ce qui s’y rapporte, la génialité n’est rien d’autre que la parfaite objectivité, la ten-