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la pensée de schopenhauer

même formule tous les rapports nécessaires selon lesquels et grâce auxquels il existe un monde connaissable, que signifie-t-il, sinon que ce monde connaissable — notre monde — est par définition le monde de la nécessité et de la relativité ? Normalement, nous ne saurions rien percevoir ni concevoir sans cette nécessité ni en dehors de cette relativité. L’intuition géniale, mais fugitive, du penseur ou de l’artiste, qui entrevoit dans une chose son essence typique et non plus les rapports de cette chose avec sa propre personne ; mieux encore, l’expérience intérieure du mystique ou du saint, expérience incommunicable, sinon par l’acte ou sous forme de symbole : tels seraient les seuls et rares états par où l’homme, déchirant, comme disent les Indous, « le voile de la Maya », semble dépasser ce monde du relatif, pénétrer au delà du « principe de raison ».

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Qu’avons-nous le droit, hommes du XXe siècle, d’appeler encore métaphysique ? Au risque, par ignorance, de nous trop avancer, nous dirons que Schopenhauer est un de ceux qui nous paraissent le mieux marquer, avec les limites de ce que ce terme désigne, son sens encore vivant et actuel. Depuis que Kant a définitivement démontré que notre intellect est incapable de spéculer sur ce qui par définition le dépasse, le « transcende », il ne saurait plus être question d’une métaphysique qui recherche l’origine, les fins et la raison de l’Univers. « Ma métaphysique, dit Schopenhauer, ne se demande en aucune façon d’où vient le monde, ni pourquoi ou en vue de quoi il est, mais uniquement ce qu’il est. » Faire de la métaphysique, ce ne sera donc plus spéculer sur des « essences » ou des « substances », poser, par exemple, un Absolu primordial, Pour en faire dériver le monde Par émanation ou évolution ; ce ne sera plus combiner des concepts abstraits, qui risquent toujours de se réduire à des mots, Pour construire ainsi, arbitrairement, avec les seuls matériaux de la connais-