Page:Schopenhauer - La Pensée, 1918, trad. Pierre Godet.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
ii. de la nature

raît toujours travaillé exactement avec le même soin que s’il était le premier, montrant par là que la nature, loin de se lasser et de gâcher peu à peu la besogne, déploie au contraire la même patiente maitrise à parachever le dernier comme le premier de ses produits : alors nous comprendrons, d’abord que tout art humain diffère absolument, non seulement par le degré, mais encore quant à son essence, du travail créateur de la nature, et ensuite que cette puissance créatrice originelle, la natura naturans, est dans chacune de ses innombrables œuvres, dans la plus petite comme dans la plus grande, dans la dernière comme dans la première, immédiatement, totalement et indivisiblement présente. D’où il suit qu’en soi et comme telle, elle ne sait rien du temps et de l’espace. Et si, d’autre part, nous considérons encore que la production de ces chefs-d’œuvre d’une perfection inimaginable coûte si peu de chose à la nature, qu’elle crée sans cesse avec une inconcevable prodigalité des milliers d’organismes qui n’arrivent jamais à maturité, abandonnant sans pitié tout ce qui vit à tous les risques, mais qu’en revanche elle est aussi toujours prête, si le hasard l’y aide ou si quelque dessein humain l’y provoque, à livrer des millions