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ii. de la nature

sons, même après un très long intervalle, à quoi nous retrouvons intact l’homme d’autrefois, à quoi aussi nous nous retrouvons nous-mêmes. Car nous avons beau vieillir ; jusqu’à la fin nous nous sentons être, au dedans de nous, exactement ce que nous étions dans notre jeunesse et même dans notre enfance. Ce quelque chose qui demeure toujours intact et identique et ne vieillit pas avec le reste, c’est précisément l’essence de notre être, qui ne gît pas dans le temps.

On admet que l’identité de l’individu repose sur celle de la conscience. Mais si, par identité de la conscience, l’on n’entend rien d’autre que le souvenir cohérent que nous avons du cours de notre vie, c’est là une identité qui n’est pas suffisante. Qu’est-ce que nous savons de notre existence antérieure ? Ce que nous savons d’un roman que nous avons lu jadis ; peut-être un peu plus ; ce n’en est toujours qu’une infime partie. Les événements principaux, les scènes intéressantes se sont gravées en nous ; mais pour un épisode que nous avons retenu, il y en a mille que nous avons oubliés. Plus nous vieillissons, plus les choses s’écoulent sans laisser en nous de traces. Le grand âge, la maladie, une lésion cérébrale, la folie peuvent nous faire perdre totalement la mémoire. Mais l’identité de la personne ne s’est pas perdue pour