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i. de la connaissance

qu’elles sont en elles-mêmes, et non plus telles qu’elles se manifestent. Or, c’est précisément aux seuls phénomènes que toutes nos formes de connaissance sont adaptées, et c’est bien pourquoi nous sommes obligés, pour concevoir n’importe quoi, de le concevoir toujours comme juxtaposition dans l’espace, succession dans le temps ou relation de causalité : toutes formes qui n’ont de sens et de valeur que par rapport au phénomène, les choses en elles-mêmes échappant toujours à la prise de ces formes. Ainsi la solution réelle et positive de l’énigme du monde doit nécessairement être quelque chose que l’intellect humain est totalement incapable de saisir et de penser ; si un être d’essence supérieure survenait, qui s’efforçât par tous les moyens de nous en faire part, nous ne pourrions absolument rien comprendre à ses révélations. Ceux-là donc qui prétendent avoir reconnu la raison dernière des choses, ou, si l’on veut, leur raison première — qu’ils l’appellent l’Etre primordial, l’Absolu, ou de quel autre nom il leur plaira — y compris le processus, les raisons, les motifs, que sais-je encore, qui veulent que le monde en dérive, découle, surgisse ou émane, qu’il se trouve posé, produit, lâché ou gentiment expédié dans l’existence, [1]

  1. Allusions ironiques, difficilement traduisibles, à la terminologie de la métaphysique allemande. (Note du traducteur.)