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essai sur le libre arbitre

modification, le principe de causalité nous fait comprendre qu’immédiatement avant ce phénomène, un autre objet a dû nécessairement éprouver une modification, de même qu’afin que ce dernier pût se modifier, un autre objet a dû se modifier antérieurement, — et ainsi de suite à l’infini. Dans cette série régressive de modifications sans fin, qui remplissent le temps comme la matière remplit l’espace, aucun point initial ne peut être découvert, ni même seulement pensé comme possible, bien loin qu’il puisse être supposé comme existant. En vain l’intelligence, reculant toujours plus haut, se fatigue à poursuivre le point fixe qui lui échappe : elle ne peut se soustraire à la question incessamment renouvelée : « Quelle est la cause de ce changement ? » C’est pourquoi une cause première est absolument aussi impensable que le commencement du temps ou la limite de l’espace[1].

  1. Schopenhauer dit ailleurs « qu’une cause première est une contradictio in adjecto. » Aussi rejette-t-il dédaigneusement la preuve de l’existence de Dieu dite par la nécessité d’une cause première. (Preuve cosmologique). L’ἀνάγϰη στῆναι, nécessité subjective, peut-elle nous faire admettre l’existence d’un point initial ? « Si le principe de causalité est absolu, pourquoi s’arrêter ? On ne le peut. Si son énergie est telle qu’il enfante une série infinie de causes, il faut la subir. Quand nous opposons ἀνάγϰη στῆναι au principe de causalité, n’est-ce pas comme si les principes de nos spéculations se tournaient contre nous pour nous confondre ? » (J. Simon, École d’Alexandrie, p. 29). Cf. Schopenhauer, Dissertation sur le Quadruple Principe, etc. P. 36 et sq.