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essai sur le libre arbitre

sentiment intime est, à proprement parler, à la racine de l’affirmation : « Je peux ce que je veux. » Aussi n’est-ce tout d’abord que l’exercice de cet empire, c’est-à-dire l’acte lui-même, qui imprime à la volition, aux regards de la conscience, le sceau d’une manifestation de la volonté. Car aussi longtemps qu’elle s’élabore peu à peu, elle s’appelle désir[1] : quand elle est achevée et prête à passer à l’acte, elle s’appelle résolution : mais qu’elle soit passée effectivement à l’état de résolution, c’est ce que l’action seule peut démontrer à la conscience ; car jusqu’à l’action qui la réalise, elle peut changer. Et ici nous nous trouvons amenés à la source principale de cette illusion, dont on ne peut guère nier la force[2], en vertu de laquelle un esprit naïf, c’est-à-dire sans éducation philosophique, s’imagine que dans un cas donné deux volitions diamétralement opposées lui seraient possibles ; et, fort de cette conviction, il s’enorgueillit de l’abondance des lumières que lui fournit sa conscience, dont il croit de bonne foi entendre là le témoignage. C’est l’effet de la con-

  1. Non pas désir, mais velléité. On verra plus bas les conséquences de cette confusion.
  2. Le positivisme en prend son parti : « La liberté morale est une réalité psychologique, ou, si l’on veut, anthropologique… Il faut l’analyser comme une nécessité phénoménologique de l’intelligence humaine, comme une réalité psychologique. » (A. Herzen, Revue philosophique du 1er sept. 1876 Le morceau entier est du plus haut intérêt.)