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définitions

(volitions), jailliraient au hasard et sans sollicitation aucune, indépendamment de toute liaison causale et de toute règle logique. En présence d’une pareille notion, la clarté même de la pensée nous fait défaut, parce que le principe de raison suffisante, qui, sous tous les aspects qu’il revêt, est la forme essentielle de notre entendement, doit être répudié ici, si nous voulons nous élever à l’idée de la liberté absolue. Toutefois il ne manque pas d’un terme technique (terminus technicus ad hoc) pour désigner cette notion si obscure et si difficile à concevoir : on l’appelle liberté d’indifférence[1] (liberum arbitrium indifferentise). D’ailleurs, de cet ensemble d’idées qui constituent le libre arbitre, celle-ci est la seule qui soit du moins clairement définie et bien déterminée ; aussi ne

  1. L’expression de liberté d’indifférence a dans la langue philosophique moderne deux sens qu’il faut distinguer. Le premier répond à la doctrine (généralement abandonnée aujourd’hui) qui refuse aux motifs toute influence quelle qu’elle soit sur les déterminations d’une volonté parfaite : appliquée à la volonté divine par Duns Scot, elle a conduit à la théorie fameuse du décret absolu (Crusius), combattue par Malebranche malgré l’autorité de Descartes. Le second désigne cette prétendue liberté, sur laquelle ont tant insisté Reid et ses successeurs, grâce à laquelle nous nous déterminons actuellement, sans motifs, entre deux termes équipollents. Quoique Descartes n’ait vu en elle que le gradun infimus libertatis, le spiritualisme s’en est servi longtemps pour combattre les déterministes ; mais les faits allégués sont, au contraire, tout à l’avantage de ces derniers. Voyez sur ce point un des plus beaux chapitres de l’ouvr. cit. de M. Fouillée, p. 74-100.