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appendice ii

toutes ses actions découlent naturellement de son essence ; comme de simples corollaires d’un principe.

La théorie de Kant nous fait enfin revenir de cette erreur fondamentale, qui plaçait la nécessité dans l’Esse et la liberté dans l’Operari, et nous fait comprendre que c’est le contraire qui est le vrai… Qu’un homme soit tel et non autre, ce que l’ensemble même de ses propres actions lui apprend — voilà ce dont il se sent responsable : c’est là, c’est dans l’Esse que se trouve l’endroit que l’aiguillon de la conscience atteint. Car la conscience n’est précisément que la connaissance de plus en plus intime que notre manière d’agir nous donne du moi propre. C’est pourquoi la conscience, à l’occasion de nos actions, accuse au fond notre nature morale. L’Operari appartient au domaine de la nécessité. Nous-mêmes nous n’apprenons à nous connaître qu’empiriquement, comme les autres hommes, et nous n’avons de notre caractère aucune connaissance à priori. Bien plus, il arrive tout d’abord que nous avons de nous-mêmes une opinion très-haute, et devant notre tribunal intérieur la maxime quisque prœsumitur bonus, donec probetur contrarium vaut tout aussi bien que devant les tribunaux criminels.

Celui qui est capable de reconnaître, même sous les formes les plus diverses qu’elle peut revêtir, l’essence d’une idée et ses traits distinctifs, pensera avec moi que cette doctrine de Kant sur le caractère intelligible et empirique est une idée qui avait déjà frappé Platon, mais que Kant le premier a su élever à la clarté abstraite et vraiment philosophique. Car Platon, n’ayant pas reconnu l’idéalité du temps, ne pouvait exposer cette doctrine que sous