Page:Schopenhauer - Essai sur le libre arbitre, 1880, trad. Reinach.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
essai sur le libre arbitre

sequitur esse ; c’est-à-dire que chaque être dans le monde agit conformément à son essence, dans laquelle toutes ses manifestations actives sont déjà contenues en puissance (potentiâ), mais ne passent à l’acte (actum) que lorsque les causes extérieures les y déterminent ; et ce sont ces manifestations mêmes qui font connaître l’essence dont elles émanent. Cette essence est le caractère empirique, tandis que la raison dernière de celui-ci, inaccessible à l’expérience, est le caractère intelligible, c’est-à-dire l’essence en soi de cet objet. L’homme ne fait point d’exception au reste de la nature : lui aussi a un caractère invariable, qui cependant est tout individuel et varie d’un homme à l’autre. Toutes les actions d’un individu, déterminées dans leurs conditions extérieures par les motifs, doivent toujours rester (moralement) conformes à ce caractère immuable et individuel : chacun doit agir comme il est. C’est pourquoi, dans chaque cas particulier, un homme donné ne peut faire qu’une seule action : operari sequitur esse. La liberté n’est pas un attribut du caractère empirique, mais seulement du caractère intelligible. L’operari d’un homme donné est déterminé extérieurement par les motifs, et intérieurement par son caractère : aussi tout ce qu’il fait il le fait nécessairement. Mais c’est dans son Esse que la liberté réside. Il aurait pu être autrement qu’il n’est[1] : et c’est à ce qu’il est actuellement, qu’incombe le mérite ou le démérite. Car

  1. Il y a là, ce me semble, quelque confusion entre l’acception objective et l’acception subjective du mot pouvoir, l’une impliquant la simple possibilité, et l’autre la puissance effective.