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appendice i

légale et la justice criminelle se demandent si un criminel était libre, et par suite responsable, au moment où il a commis un acte.

En résumé, on peut considérer un crime comme commis en l’absence delà liberté intellectuelle, lorsque son auteur, au moment d’agir, ne savait pas ce qu’il faisait, ou, plus généralement, lorsqu’il était dans l’incapacité de concevoir ce qui aurait dû l’en détourner, je veux dire les conséquences (légales) de son acte. En ces deux cas il n’est donc pas punissable.

Ceux qui par contre s’imaginent qu’à cause de la non-existence de la liberté morale et de la nécessité qui en résulte pour toutes les actions d’un individu donné, aucun criminel ne devrait rationnellement être puni, partent de cette fausse idée sur la pénalité, qu’elle est un châtiment des crimes en tant que crimes, une punition du mal par le mal, au nom de motifs moraux. Mais il me semble, malgré l’autorité de Kant, que la pénalité envisagée ainsi serait absurde, inutile, et absolument injustifiable. Car de quel droit un homme s’érigerait-il en juge absolu de ses semblables au point de vue moral, et comme tel leur infligerait-il des peines en punition de leurs fautes ? La loi, c’est-à-dire la menace de la peine[1], a bien plutôt pour but d’être un motif contraire destiné à balancer dans l’esprit des hommes les séductions du mal. Si dans un cas particulier elle manque son effet, elle doit mettre à exécution sa menace, parce qu’autrement elle serait également impuissante dans tous les cas à venir. Le criminel, de son côté, souffre la

  1. Leges… prœcepta minis permixta. (Sénèque.)