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essai sur le libre arbitre

sibles qui peuvent exciter au crime, le législateur s’efforce d’opposer, dans les punitions dont il le menace, des motifs contraires plus puissants. Un code pénal n’est pas autre chose qu’un dénombrement de motifs propres à tenir en échec des volontés portées au mal[1]. Mais s’il est arrivé que l’intelligence, par l’intermédiaire de laquelle les motifs opposés doivent agir, s’est trouvée momentanément incapable de les concevoir et de les présenter à la volonté, alors leur action devenant impossible, ils ont été pour l’esprit comme s’ils n’existaient pas. C’est comme lorsqu’on découvre qu’un des fils qui devaient mouvoir une machine est rompu. En pareil cas, la responsabilité passe de la volonté à l’intelligence ; mais celle-ci ne peut être soumise à aucune pénalité : c’est à la volonté seule que les lois s’adressent, ainsi que toutes les prescriptions de la morale. La volonté seule constitue l’homme proprement dit ; l’intelligence est simplement son organe, ses antennes dirigées vers le dehors, c’est-à-dire l’intermédiaire entre les motifs et la volonté[2].

Au point de vue moral, de telles actions ne nous sont pas plus imputables qu’au point de vue juridique. Car elles ne constituent pas un trait du caractère de l’homme : ou bien il a agi autrement qu’il ne méditait de le faire, ou bien il était incapable de réfléchir à ce qui aurait dû le détourner de cet acte, c’est-à-dire d’être touché par les motifs contraires. De même, lorsqu’on soumet un corps que l’on veut analyser chimiquement à l’action de plusieurs réactifs, pour voir avec lequel il a la plus puissante af-

  1. Cf. Fouillée, ouvr. cit., p. 26.
  2. V. Ribot, ouvr. cit., n. 69-73.