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essai sur le libre arbitre

au sujet du problème qui nous occupe, après tout ce qu’ont enseigné sur ce point tant de grands esprits dont nous venons de rappeler les noms ; ce qui permet de constater une fois de plus que non-seulement la nature, à toutes les époques, n’a produit qu’un nombre très-restreint de véritables penseurs, mais que ces penseurs eux-mêmes n’ont vécu que pour un très-petit nombre de leurs semblables. C’est pour cette raison que la folie et l’erreur règnent continuellement sur le monde[1].

Dans une question de morale, le témoignage des grands poètes est aussi d’un certain poids. Leurs


    Schopenhauer était traduit dans notre langue, on s’étonnerait de le trouver si peu allemand. » C’est bien ici ou jamais le cas de dire : Nimis germanicè !

  1. On nous saura gré de rappeler en regard de ces lignes une des plus belles pages de Schopenhauer (Préface de l’Éthique, p. xxxi) « : Rien ne rabaisse autant le niveau intellectuel que d’admirer et de glorifier le mal. Car Helvétius dit avec raison : « Le degré d’esprit nécessaire pour nous plaire, est une mesure exacte du degré d’esprit que nous avons. » Il est bien plus facile d’excuser ceux qui méconnaissent passagèrement le bien que ceux qui prônent le mal : car ce qu’il y a de plus excellent dans tous les genres nous apparaît si neuf et si étranger, grâce à son originalité même, que, pour le reconnaître au premier coup d’œil, il ne faut pas seulement avoir de l’intelligence, mais une connaissance profonde du sujet spécial dont il s’agit. On comprend dès lors pourquoi en général les découvertes du génie ne sont reconnues que tard, d’autant plus tard qu’elles appartiennent à un ordre plus élevé, et que les véritables porte-flambeaux de l’humanité partagent le destin des étoiles fixes, dont la lumière met bien des années avant de parvenir dans l’horizon de la vue bornée des hommes.