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essai sur le libre arbitre

Biran, que son éditeur, M. Cousin, appelle « le premier métaphysicien français de mon temps »,

    le plus vide d’idées, et, comme le résultat l’a démontré, le plus abêtissant : doctrine qui ayant pour noyau (base) une fantaisie absurde et prise en l’air, manque également de principes et de conséquences, c’est-à-dire n’est démontrée par rien, ne démontre elle-même et n’explique rien, en outre, manquant d’originalité, une simple parodie du Réalisme scolastique et en même temps du Spinozisme, lequel monstre doit aussi, de dos, représenter le Christianisme — πρόσθε λέων, ὄπιθεν δὲ δράϰων, μἑσση δε χίμαιρα, — j’aurais pleinement raison. Et si je disais encore que ce summus philosophus a griffonné des sottises comme pas un autre mortel, à tel point que celui qui pourrait lire son ouvrage le plus estimé, la Phénoménologie de l’Esprit, sans se croire dans une maison de fous, y appartiendrait de droit, — je serais encore dans le vrai. » — Ailleurs : « Qu’on ne s’attende point à m’entendre parler avec respect de gens qui ont fait tomber la philosophie dans le mépris. » — « Que celui qui en a la patience, lise les §§40-62 où le summus philosophus expose la philosophie de Kant en la dénaturant ; qu’il admire ensuite comment, incapable de mesurer la grandeur du mérite de Kant, placé aussi trop bas par la nature pour pouvoir se réjouir de l’apparition si indiciblement rare d’un génie vraiment sublime, il jette un regard dédaigneux, du haut de cette supériorité infinie dont il a conscience, sur ce grand, grand homme, comme sur quelqu’un qu’il dépasse de cent têtes, et dans les essais duquel, faibles encore et sentant l’école, il indique avec une froide mésestime, d’un ton mêlé d’ironie et de pitié, les fautes et les erreurs, pour l’instruction de ses disciples ! Cette affectation de grandeur en présence du vrai mérite, est à la vérité une ficelle connue de tous les charlatans à pied et à cheval, mais malgré cela elle ne manque guère son effet sur les pauvres d’esprit. Aussi est-ce précisément cet air de supériorité qui, joint à un vain barbouillage de niaiseries, fut l’artifice principal de ce charlatan… Et c’est véritablement par ces procédés qu’il a éveillé dans le public allemand une haute opinion de la sagesse renfermée dans son Abracadabra, car le public se dit : « Ils ont l’air fiers et