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mes prédécesseurs

restée dans son ensemble presque au même point où ravalent laissée Locke et Condillac. Maine de

    philosophe, mais il a exercé sur la philosophie, et par là sur toute la littérature allemande en général, une influence souverainement funeste, à proprement parler abêtissante, on pourrait dire pestilentielle, et c’est pourquoi il est du devoir de tout homme capable de penser et de juger par lui-même de le combattre en toute occasion de la façon la plus énergique. Car si nous nous taisons, qui donc élèvera la voix ?… Si une ligue de journalistes conjurés pour la glorification du mal, si des professeurs soldés de l’Hégélie et des gradués sans chaire et mourant de faim qui voudraient professer, proclament aux quatre vents, sans trêve ni repos, et avec une impudence sans exemple, que ce cerveau très-ordinaire, mais extraordinaire charlatan, est le plus grand philosophe que le monde ait jamais possédé, cela ne vaut pas la peine qu’on s’en occupe, d’autant plus que la grossière préméditation de ces misérables menées a fini par devenir évidente, même aux esprits les moins exercés. Mais lorsqu’on en arrive à ce point, qu’une Académie étrangère (l’Académie de Danemark) veut prendre sous sa protection ce philosophâtre en le décorant du titre de summus philosophiis, qu’elle se permet de flétrir l’homme qui, loyalement, intrépidement, s’insurge contre cette gloire mensongère, captée, achetée, produit d’un tissu de faussetés, avec l’énergie qui seule est à la hauteur de cette insolente exaltation et de cet importun panégyrique du faux, du mal, et de tout ce qui jette le trouble dans l’esprit ; alors la chose devient sérieuse, car un jugement parti de si haut pourrait conduire des gens mal instruits à de grandes et funestes erreurs. Il doit donc être neutralisé ; et à cet effet, puisque je n’ai pas l’autorité d’une Académie, je dois procéder par des raisons et des preuves à l’appui… Si donc je disais que la prétendue philosophie de ce Hegel est une colossale mystification, qui offrira à la postérité un thème inépuisable de railleries aux dépens de notre époque, une pseudo-philosophie qui paralyse toutes les forces de l’esprit, qui étouffe toute véritable pensée, et qui, au moyen des plus audacieux abus de langage, y substitue le verbiage le plus creux, le plus vide de sens,