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essai sur le libre arbitre

Entre deux mets placés à pareille distance,
Tous deux d’égal attrait, l’homme libre balance
Mourant de faim avant de mordre à l’un des deux[1].

Aristote lui-même exprime déjà cette pensée, lorsqu’il dit (De cœlo, ii, 13) : « Il en est comme d’un homme ayant très-faim et très-soif, mais se trouvant à une distance égale d’un aliment et d’une boisson : nécessairement, il restera immobile. » Buridan, qui a emprunté son exemple à cette source, se contenta de mettre un âne à la place de l’homme, simplement parce que c’est l’habitude de ce pauvre scolastique de prendre pour exemples Socrate, Platon, ou asinus[2].

La question du libre arbitre est vraiment une pierre de touche avec laquelle on peut distinguer les profonds penseurs des esprits superficiels, ou plutôt une limite où ces deux classes d’esprits se

  1. Traduction de M. Ratisbonne. — Voici le tercet original :Intra duo cibi, distanti è moventi — D’un modo, prima si morria di fame, — Che liber’uomo l’un recasse à denti.
  2. Depuis Schopenhauer, on n’a pas retrouvé dans Buridan le sophisme en question. Personne non plus, à ce qu’il semble, n’a tenu compte des intéressants rapprochements qu’on vient de lire avec le Dante et Aristote. La dernière édition du Dictionnaire Philosophique répète, au sujet de Buridan, les explications de Bayle et de Tiedemann. — Quant à l’édition des Sophismata, dont parle Schopenhauer, elle se trouve partout mentionnée sans l’indication de la date ni du lieu de publication, tantôt comme un in-4e et tantôt comme un in-8e.