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LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE

suite sans la manière d’agir déterminée qui en découle. Or, pas plus qu’une essence sans existence (ce que Kant a expliqué par l’exemple connu des cent écus)[1], une existence sans essence ne possède de réalité. Car toute chose qui est doit avoir une nature particulière, caractéristique, grâce à laquelle elle est ce qu’elle est, nature qu’elle atteste par tous ses actes, dont les manifestations sont provoquées nécessairement par les causes extérieures ; tandis que, par contre, cette nature même n’est aucunement l’ouvrage de ces causes, et n’est pas modifiable par elles. Mais tout ceci est aussi vrai de l’homme et de sa volonté, que de tous les êtres de la création. Lui aussi, outre le simple attribut de l’existence, a une essence fixe, c’est-à-dire des qualités caractéristiques, qui constituent précisément son caractère, et n’ont besoin que d’une excitation du dehors pour entrer en jeu. Par suite, s’attendre à ce qu’un homme, sous des influences identiques, agisse tantôt d’une façon, et tantôt d’une autre absolument opposée, c’est comme si l'on voulait s’attendre à ce que le même arbre qui l’été dernier a porté des cerises, porte l’été prochain des poires. Le libre arbitre implique, à le considérer de près, une existence sans essence, c’est-à-dire quelque chose

  1. Critique de la Raison Pure, Logique Transcendentale, p 220 de la trad. Tissot.