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la volonté devant la perception extérieure

non plus en Allemagne d’ignorants, qui, jetant au vent tout ce que de grands penseurs ont dit à ce sujet depuis deux cents ans et se targuant du témoignage de la conscience tel qu'il a été analysé plus haut (témoignage qu’ils interprètent à faux, de même que le vulgaire en général), préconisent le libre arbitre comme une vérité de fait. Et cependant je leur fais peut-être tort ; car il se peut qu’ils ne soient pas aussi ignorants qu’ils le paraissent, mais seulement qu’ils aient bien faim, et que, dans l’espoir d'un morceau de pain très-sec, ils enseignent tout ce qui pourra être bien vu par un haut ministère[1].

Ce n’est nullement une métaphore, ni une hyperbole, mais seulement une vérité bien simple et bien élémentaire, que, de même qu’une bille

  1. « Hobbes, Spinoza, Priestley, Voltaire, même Kant, ont déjà enseigné avant moi la détermination rigoureuse des actes. Cela n’empêche point que nos dignes professeurs de philosophie parlent du libre arbitre comme d’une chose dont on ne doute plus. Mais enfin, je le demande à ces messieurs, pourquoi s’imaginent-ils que ces grands hommes que je viens de nommer ont, par un bienfait de la nature, paru sur la terre ? Pour qu’ils puissent, eux, vivre de la philosophie, — n’est-ce pas ? » — (Dissertation sur le Quadruple Principe, etc…) — « Une seconde classe de gens qui vivent du besoin métaphysique de l'homme, ce sont ceux qui vivent de la philosophie. On les appelait chez les Grecs sophistes ; chez les modernes, ce sont les professeurs de philosophie. Mais il arrive rarement que ceux qui vivent de la philosophie vivent pour la philosophie. » (Welt als Wille, t. II, chap. 17 ; passage traduit par M. Ribot, p. 28 de l’ouvr. cité.)