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essai sur le libre arbitre

à celle avec laquelle on calcule les effets des appareils de mécanique, si l’on pouvait connaître aussi exactement le caractère individuel des hommes avec lesquels on est en rapport, que la longueur et l’épaisseur des planches, le diamètre des roues, le poids des fardeaux, etc. C’est là une hypothèse (l’influence des motifs sur les actes humains) à laquelle chacun se conforme instinctivement tant qu’il tourne ses regards vers le dehors, qu’il a affaire avec ses semblables, et qu’il poursuit des buts pratiques : car c’est à ceux-là surtout que l’intelligence humaine est véritablement destinée. Mais dès que l’homme essaie de juger la question au point de vue théorique et philosophique, ce qui n’est pas à proprement parler dans le rôle de son intelligence, et qu’il se fait lui-même l’objet de son jugement, il se laisse tromper par l’immatérialité des motifs humains, consistant en simples pensées, qui ne se rattachent à rien de présent ni à rien de ce qui l’entoure, et dont les obstacles mêmes ne sont que de simples pensées, agissant comme des motifs contraires. Alors il met en doute leur existence, ou, en tous les cas, la nécessité de leur action, et s’imagine que ce qu’il fait, il pourrait aussi bien ne pas le faire, que la volonté se décide spontané ? ment, sans motifs, et que chacun de ses actes est le premier anneau d’une série de modifications impossibles à calculer et à prévoir. Cette illusion, se