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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

il s’étend jusqu’aux étoiles. En outre, elle sent les nuances les plus délicates de la lumière, de l’ombre, de la couleur, de la transparence, et fournit ainsi à l’entendement une foule de données finement déterminées, au moyen desquelles, après en avoir acquis l’exercice, il construit et présente de suite à la perception la forme, la grandeur, la distance et la condition des corps. D’autre part cependant, le toucher, bien que ne pouvant se passer du contact, procure des données si infaillibles et si variées, qu’il est le sens sûr par excellence. Aussi bien les perceptions de la vue se réfèrent finalement au toucher ; on peut même envisager la vue comme un toucher imparfait, mais atteignant loin et se servant des rayons de lumière comme de longs tentacules ; c’est aussi pour cela qu’elle est exposée à tant d’erreurs, car elle est bornée aux propriétés auxquelles la lumière sert d’intermédiaire ; par conséquent, elle est unilatérale, tandis que le tact donne directement les données servant à faire reconnaître la dimension, la forme, la dureté, la mollesse, la siccité, l’humidité, le poli, la température, etc., etc. ; en quoi il est aidé en partie par la conformation et la mobilité des bras, des mains et des doigts, dont la position pendant l’attouchement procure à l’entendement les données nécessaires à la construction des corps dans l’espace, et en partie par la force musculaire, au moyen de laquelle il reconnaît le poids, la solidité, la résistance ou la fragilité des corps : et le tout avec la moindre possibilité d’erreur.

Malgré tout cela, ces données ne constituent encore nullement la perception : celle-ci reste l’œuvre de l’entendement.